L’ambassadeur de Paris en Italie : « La France sur la laïcité ne recule pas, ce sont des valeurs européennes communes ».

PARIS – « Face à la menace terroriste, la réponse du gouvernement français sera toujours déterminée et ferme, car nous ne transigeons pas avec nos valeurs. Arrivé au Palazzo Farnese en septembre 2017, l’ambassadeur de France Christian Masset a connu des hauts et des bas dans les relations entre Paris et Rome. Masset est un grand connaisseur de l’Italie et un diplomate chevronné, ancien secrétaire général du Quai d’Orsay, le ministère français des affaires étrangères. L’ambassadeur explique à Repubblica comment la France entend faire face à la nouvelle menace terroriste interne et externe après le dernier attentat à la basilique de Nice qui a fait trois victimes.

Emmanuel Macron a déclaré à Nice : « C’est la France qui est attaquée ». Pourquoi la France est-elle attaquée ?

« Tout d’abord, je tiens à exprimer toute l’horreur et l’indignation que suscite cet attentat. Notre solidarité et notre soutien vont avant tout aux victimes et à leurs familles. Nous devons également saluer le courage des forces de sécurité intérieure qui ont réussi à arrêter l’agresseur et le soutien que la France exprime aux catholiques, car ils sont eux aussi visés par cet acte. La France est attaquée pour les valeurs que notre pays défend, pour notre liberté, valeur à laquelle nous sommes profondément attachés, comme le sont les Italiens. Face à la menace terroriste, la réponse du gouvernement français sera toujours déterminée et ferme, car nous ne transigeons pas avec nos valeurs ».

La republication des caricatures de Mahomet sur Charlie Hebdo à la mi-septembre marque le début de cette nouvelle spirale d’attentats ?

« La menace terroriste n’a pas cessé, comme vous le savez, ces dernières années. Nous avons toujours maintenu un haut niveau de vigilance. C’est avant tout la liberté d’expression qui est attaquée. Comme l’a rappelé le Président dans son bel hommage à Samuel Paty, cet enseignant a été tué précisément parce qu’il incarnait la République qui renaît chaque jour dans la salle de classe, la liberté qui se transmet et se perpétue dans les écoles. Ce sont ces valeurs qui ont été visées, comme elles l’ont été lors des attentats de 2015. Nous ne renoncerons pas aux caricatures, aux dessins, parce qu’ils font partie de la liberté d’expression ».

Les manifestations anti-françaises se multiplient dans les pays arabes. Y a-t-il une faille dans l’explication du modèle français de laïcité et du droit au blasphème envers le monde musulman ?

« Notre vision de la laïcité n’est pas née d’hier, puisqu’elle remonte à la loi de séparation entre l’Église et l’État de 1905. Nous avons toujours dit qu’elle repose sur un principe très simple, la liberté de croire ou de ne pas croire. Cela signifie que chaque personne jouit des mêmes droits et du même respect, quelles que soient ses croyances religieuses. Nous faisons tous partie d’une société unie autour des valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité. C’est le moyen de permettre aux religions de coexister pacifiquement dans l’espace public et de cultiver la tolérance envers les opinions des croyants et des non-croyants. Le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a rappelé cette semaine que tous les croyants de notre pays appartiennent de droit à notre communauté nationale. Notre République laïque reconnaît aux musulmans la même légitimité à pratiquer leur religion qu’aux pratiquants d’autres religions, tout comme elle reconnaît le droit à l’athéisme. C’est pour cette raison que nous n’acceptons pas les campagnes de désinformation et de manipulation, parce qu’elles déforment l’esprit même dans lequel nous défendons la liberté d’expression, et parce que nous voyons bien, dans le drame, que nous passons rapidement de la haine virtuelle à la violence réelle ».

Craignez-vous que la propagande anti-française dans certains pays arabes n’alimente la violence ?

« La France a renforcé son système d’alerte d’attaque au plus haut niveau, mais ne cédera pas aux intimidations. Le Président de la République l’a dit à Nice, en envoyant un message de fermeté mais aussi d’unité. Dans cette épreuve, c’est le moment où tous les Français, croyants ou non, doivent s’unir, car nous sommes une seule communauté qui fait face collectivement à ces attaques contre nos valeurs. Nous voulons aussi apporter un message de paix.

Que cherche Recep Tayyip Erdogan avec des attaques verbales directes et brutales contre Macron ? Comment répondre ?

« Les appels haineux contre la France déforment les positions que nous défendons en faveur de la liberté de conscience, de la liberté d’expression et de la liberté de religion. Ils dénaturent et manipulent également à des fins politiques les déclarations faites par le président de la République dans son discours sur le séparatisme islamique et dans son hommage à Samuel Paty, visant à lutter contre l’islamisme radical. Le séparatisme islamique est un projet politique, qui voudrait remplacer les lois de la République par une loi religieuse. Elle dépasse le communautarisme car elle s’accompagne d’une volonté de se dissocier de la République, d’établir de nouvelles règles et de les imposer. Cependant, ce projet est contraire à la liberté de tous et de chacun et à l’égalité, qui sont les principes de notre République. Nous devons continuer à nous souvenir de ce qui motive notre approche et dénoncer les dangereux raccourcis qui mélangent, parfois délibérément, la lutte contre le séparatisme islamique et la lutte contre l’Islam, qui n’a jamais été abordée. Notre main restera toujours tendue ».

L’UE a reporté une décision sur d’éventuelles sanctions contre la Turquie. Dans cette crise diplomatique avec Ankara, le soutien à la France des partenaires européens, en particulier du gouvernement italien, vous satisfait-il ?

« Tout d’abord, la plupart des pays européens, en particulier l’Italie, ont exprimé leur indignation et dénoncé les déclarations scandaleuses faites contre nos autorités. La solidarité exprimée montre que nous partageons la volonté de défendre nos valeurs communes. Ce n’est pas seulement une affaire pour la France. Elle concerne tous les Européens.

Avez-vous apprécié la manifestation devant le Palazzo Farnese de Matteo Salvini et des députés de la Ligue après l’attentat de Nice pour exprimer leur soutien à la France ?

« Nous avons été émus par les nombreux témoignages de solidarité exprimés jeudi. Nous avons reçu des messages de soutien du président Sergio Mattarella, du premier ministre Giuseppe Conte, des présidents des chambres, de nombreux ministres, d’élus et d’innombrables citoyens italiens qui ont voulu exprimer leur profond rejet de cet acte barbare. Toutes ces expressions d’amitié sont précieuses pour nous. Ils témoignent de la proximité entre nos deux pays. Nous sommes toujours aux côtés du peuple italien lorsqu’il est confronté à des tragédies et nous lui sommes reconnaissants de son soutien lorsque nous sommes nous-mêmes confrontés à des épreuves ».

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